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2014/6 (n° 186)


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La poursuite du processus de décentralisation en France a pris, en Guyane et en Martinique depuis 2011, la forme inédite de la collectivité territoriale unique, lui conférant une valeur d’expérience pilote. La création de cette nouvelle entité ouvre un espace d’ingénierie institutionnelle qui va bien au-delà d’une fusion des niveaux d’action départemental et régional et requiert de tous les acteurs des capacités d’innovation, d’adaptation et de coopération.

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La loi du 27 juillet 2011 relative aux Collectivités territoriales de Guyane (CTG) et de Martinique (CTM) vise, en créant une collectivité unique, à apporter une réponse politico-institutionnelle au malaise qui s’exprime de longue date dans ces territoires. Depuis la fin des années 1950, la question statutaire rythme avec une intensité variable la vie politique de ces derniers et structure leur champ partisan. Une tentative de réforme, dans le prolongement de la révision constitutionnelle de 2003 qui a élargi les possibilités d’évolutions statutaires pour les Départements et régions d’outre-mer (Drom), s’est d’ailleurs enlisée en Guyane, faute de consensus, et s’est soldée par le double échec de la consultation organisée aux Antilles le 7 décembre 2003.

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La création d’une collectivité unique en Guyane et en Martinique correspond-elle à une simple fusion des compétences exercées par les départements et régions ? Certes, après le rejet sans ambiguïté de l’idée d’une Collectivité d’outre-mer (Com) dotée de l’autonomie, l’option retenue est celle d’une simplification du paysage institutionnel. Toutefois, la mise en œuvre d’une telle réforme s’apparente à une opération complexe, s’inscrivant dans la durée, dont le succès dépend assurément de la capacité des acteurs à relever au moins deux défis de nature politique et technique : l’un visant précisément à briser le mythe de la simple fusion entre département et région, l’autre consistant à maîtriser un nouvel espace d’ingénierie institutionnelle.

L’autonomie en débat : le déphasage entre le choix des élus et les attentes des populations

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La révision constitutionnelle de 2003 a remplacé la vieille distinction entre les départements d’outre-mer (Dom) et les territoires d’outre-mer (Tom) par une nouvelle classification. Cette dernière distingue les collectivités (régions, départements et collectivités uniques s’y substituant) relevant de l’article 73 de la Constitution de 1958 et les collectivités d’outre-mer (Com) définies par l’article 74. Les premières sont régies par le principe de l’identité législative, c’est-à-dire que les lois et règlements y sont applicables de plein droit ; les secondes sont régies, à des degrés divers [1][1] En réalité, le régime législatif des Com correspond..., par le principe de la spécialité législative, c’est-à-dire que les lois et règlements ne s’y appliquent que sur mention expresse.

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Les Com peuvent être dotées de l’autonomie (comme à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et en Polynésie française) et obtenir dès lors la compétence pour fixer des règles dans des domaines qui, dans l’Hexagone, relèvent de la loi. Leur statut peut également déterminer les conditions dans lesquelles :

  • le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certains actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ;

  • l’assemblée délibérante peut, après saisine du Conseil constitutionnel, modifier une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur du statut de la collectivité et intervenue dans le domaine de compétence de celle-ci ;

  • la collectivité peut prendre en faveur de sa population des mesures justifiées par les nécessités locales, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;

  • la collectivité peut participer, sous le contrôle de l’État, à l’exercice des compétences qu’il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l’ensemble du territoire national pour l’exercice des libertés publiques.

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Le débat sur l’avenir des Drom de la Guyane et des Antilles a opposé, au cours des dernières années, les partisans de la création d’une collectivité unique, régie par l’article 73 de la Constitution, aux partisans de la création d’une Com dotée de l’autonomie et d’un régime législatif caractérisé par la prépondérance du principe de la spécialité, au sens de l’article 74 de la Constitution.

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La loi du 27 juillet 2011 prend acte de la volonté exprimée les 10 et 24 janvier 2010 par les Guyanais et les Martiniquais en faveur de la création d’une collectivité unique se substituant, sur le fondement de l’article 73 de la Constitution (principe d’identité législative), aux actuels Drom. Cette réforme résulte de la conjonction d’une série de facteurs ayant fortement pesé sur son contenu final. À commencer par la relance du débat statutaire et l’adoption, en 2009, par les congrès des élus départementaux et régionaux de Guyane et de Martinique, de résolutions réclamant la création de collectivités uniques dotées d’une autonomie renforcée dans le cadre de l’article 74 de la Constitution. À cela s’ajoute l’organisation des États généraux à l’initiative du président de la République en réponse à la crise de février-mars 2009, laquelle a consacré le retour en force de la question sociale, un temps éclipsée par les revendications culturelles et identitaires. Enfin, les consultations des populations organisées en janvier 2010 ont pour effet de mettre en échec la volonté initialement exprimée par la majorité des élus locaux de Martinique et de Guyane réunis en congrès respectivement en juin et septembre 2009 : elles se soldent par le rejet massif de toute idée de création de collectivité d’outre-mer dans le cadre de l’article 74, et donc de renforcement de l’autonomie locale, au profit d’une sanctuarisation de l’article 73 de la Constitution, perçu, à tort ou à raison, comme le fondement de l’égalité républicaine et de l’accès à l’ensemble des droits inhérents à la citoyenneté française [2][2] Cette interprétation erronée a pendant longtemps bloqué....

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Un autre point mérite d’être souligné : si la création de la CTG et de la CTM est une tentative de réponse à de vieilles revendications institutionnelles et statutaires, il est non moins sûr qu’elle intervient dans un mouvement plus général de décentralisation qui concerne l’ensemble des collectivités territoriales françaises. Se pose dès lors le problème de l’articulation entre ces processus partiellement emboîtés, dont l’un peut nourrir l’autre lorsqu’il ne l’anticipe pas. D’autant que le changement de statut de la Guyane et de la Martinique a, pour toile de fond, la réactivation des dispositifs de fusion entre collectivités territoriales, l’échec de la création d’une collectivité territoriale unique en Alsace, la redéfinition de la carte des régions hexagonales, l’élargissement de leurs compétences et l’affirmation d’un pouvoir réglementaire à leur profit [3][3] L’article 1er du projet de loi portant nouvelle organisation.... Démarche qui n’est pas sans rappeler certaines dispositions applicables aux collectivités encadrées par l’article 73 de la Constitution, y compris la CTG et la CTM en gestation.

Briser le mythe d’une simple fusion des compétences

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Le mythe d’une simple fusion de compétences du département et de la région, entretenu par l’Étude d’impact du projet de loi initial [4][4] Étude d’impact du projet de loi organique portant diverses... portant création de la CTG et de la CTM et longtemps relayé par les élus locaux, résiste difficilement à un examen attentif : les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique constituent bel et bien de nouvelles entités dont le fonctionnement ne saurait résulter de la simple addition ou juxtaposition des compétences naguère exercées par les Drom dont elles sont issues. Sauf à maintenir artificiellement le vieux couple département-région au sein du cadre institutionnel ainsi créé, la nouvelle dynamique à l’œuvre devrait faire disparaître le phénomène des financements croisés et générer de nouveaux espaces de mise en cohérence des politiques publiques.

Sortir des logiques institutionnelles

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Certes, les deux collectivités dont procèdent ces nouvelles entités n’ont pas la même vocation : le département apparaît comme le niveau des solidarités sociales et territoriales et la région, comme l’échelon des missions stratégiques et de préparation de l’avenir, ce qui fait de la mise en cohérence susmentionnée un véritable défi. Mais la gestion de leurs compétences respectives par une seule et même entité pourrait aider à relever ce défi, même si le mode d’élection des assemblées délibérantes pourrait contrarier le processus. Ce dernier tente, en effet, de concilier la représentation des composantes territoriales de chaque collectivité avec une vision globale transcendant les intérêts locaux immédiats. L’on sait pourtant que ce sont les conditions de l’éligibilité qui déterminent avant tout les comportements d’assemblée. Il existe dès lors un risque de voir certains membres des assemblées délibérantes, notamment ceux ayant déjà conquis un mandat local leur conférant une incontestable légitimité, se comporter en représentants exclusifs d’une fraction de territoire au détriment d’une vision stratégique du développement.

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Il reste que l’illusion de la simple fusion a déjà eu une double conséquence. D’une part, elle a conduit les acteurs locaux à sous-estimer l’ampleur, la durée et la complexité de la mise en place de la CTG et de la CTM. D’autre part, elle a paradoxalement cristallisé les logiques institutionnelles actuelles, entravant par là même les négociations entre départements et régions et empêchant de se projeter dans les nouvelles entités en gestation. D’où le retard accumulé dans les deux territoires, en dépit de la décision gouvernementale de reporter l’élection de l’assemblée délibérante des nouvelles collectivités, initialement prévue en mars 2014, au mois de décembre 2015. Un tel retard pourrait être préjudiciable aux nouvelles institutions : le temps de la réforme, qui s’inscrit dans la durée, n’est pas celui des citoyens qui en attendent des retombées immédiates.

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Dès lors se pose le problème de l’appropriation de ladite réforme par les acteurs politiques locaux, dans le cadre d’un apprentissage institutionnel qui pourrait se révéler long et délicat. À cet enjeu s’ajoute le défi que représente l’adhésion des populations aux changements annoncés dont elles discernent mal les contours.

Favoriser l’adhésion des populations

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Sur ce dernier point, on rappellera que les Guyanais et les Martiniquais ont fait preuve d’une certaine circonspection à l’occasion des consultations qui se sont déroulées en janvier 2010. En effet, s’ils ont clairement indiqué ce qu’ils ne souhaitaient pas en rejetant sans ambiguïté le 10 janvier l’autonomie dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, les électeurs se sont prononcés pour la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’article 73 de la Constitution lors du deuxième scrutin du 24 janvier. Mais s’il est nettement majoritaire, ce vote a toutefois été affaibli par la faible mobilisation du corps électoral, comme en témoignent les résultats des deux consultations. La participation, relativement élevée le 10 janvier au regard des taux traditionnellement observés, connaît le 24 janvier une baisse sensible dans les deux territoires. Celle-ci se combine avec une augmentation du nombre de bulletins blancs et nuls, laquelle peut s’analyser comme l’expression d’une indécision ou d’un refus de choisir dans les conditions proposées. La participation passe de 48,16 % à 35,81 % (12,35 %) en Guyane et de 55,32 % à 35,81 % (19,51 %) à la Martinique. En outre, dans ce contexte de faible mobilisation, le pourcentage des bulletins blancs et nuls le 24 janvier représente en Guyane 6,90 % (contre 2,33 % le 10 janvier) et à la Martinique 4,71 % (contre 3 %). C’est dire que le risque d’une dé-légitimation des nouvelles institutions avant même qu’elles ne voient le jour ne saurait être ignoré. Il exige de la part des acteurs locaux un travail pédagogique d’explication et d’explicitation de la réforme, qui doit aussi apporter des réponses à des attentes citoyennes mêlées d’impatience, dont la satisfaction pourrait être différée en raison des délais de réalisation de la réforme.

Un nécessaire apprentissage institutionnel

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La loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique est souvent présentée comme une simplification du paysage institutionnel : elle se contenterait de substituer aux départements et régions une collectivité unique exerçant les compétences dévolues à ces derniers. Or, faut-il le rappeler, il s’agit de la création d’entités nouvelles induisant nécessairement des changements de comportements de la part des acteurs locaux. La disparition des départements et des régions signifie ainsi la suppression d’une strate intermédiaire d’action publique entre les communes, qui demeurent des structures de proximité, les Établissements publics intercommunaux (EPCI) en plein essor et la CTG ou la CTM, qui constituent désormais les seules collectivités majeures. Ces dernières seront prochainement dotées de compétences stratégiques élargies et d’outils pour accompagner la croissance des entreprises et le développement des territoires à la faveur des réformes actuellement en préparation en France. Parallèlement, les EPCI, qui exercent par exemple des compétences dans les domaines du développement économique et de l’aménagement du territoire et s’apparentent désormais à des quasi-collectivités, montent en puissance et constituent l’un des pivots du nouveau paysage institutionnel, en France comme outre-mer. Dès lors, la combinaison des réformes en Guyane et Martinique et la mise en œuvre d’un nouvel acte de décentralisation à l’échelle de la France entière se traduiront mécaniquement par la création de deux grands niveaux d’intervention locale, intercommunal et régional (CTG et CTM). D’où la nécessité de penser les espaces de coordination entre ces derniers afin d’éviter une fragmentation excessive de l’action publique et l’apparition de nouvelles rivalités. D’autant que, dans ce nouveau contexte, les EPCI pourraient, dans certains cas, se constituer en bastions de repli pour des oppositions peinant à se faire entendre au sein de la CTM ou de la CTG.

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Le problème se pose avec une particulière acuité pour la Martinique où la nouvelle configuration institutionnelle renforce le poids du parti ou de la coalition majoritaire. En effet, la loi du 27 juillet 2011, conformément au souhait exprimé par les élus martiniquais, prévoit la mise en place d’un conseil exécutif, dont la responsabilité est susceptible d’être engagée devant l’assemblée délibérante sur la base d’une motion de défiance constructive [5][5] Signée par au moins un tiers des membres de l’assemblée.... Un tel choix repose sur la dissociation de l’exécutif et de l’assemblée délibérante et sur la mise en œuvre d’une dynamique majoritaire – qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement des institutions de la Ve République – ayant pour corollaire obligé une opposition structurée. Il s’agit là de dispositions et de logiques nouvelles auxquelles les élus, dont beaucoup n’ont pas encore réussi à se défaire du schéma classique de la commission permanente constitutif des collectivités territoriales françaises, devront se conformer et les populations se familiariser.

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On le voit, la création de la CTG et de la CTM exige de gros efforts d’adaptation du personnel politique autant que du personnel administratif. Car la Guyane et la Martinique se trouvent engagées dans un véritable processus d’ingénierie institutionnelle faisant appel à la capacité d’innovation des acteurs locaux qui doivent piloter simultanément plusieurs chantiers conditionnant la réussite des réformes.

Des espaces d’innovation et d’ingénierie institutionnelle

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Les processus de réformes dans les territoires ultramarins débouchent sur l’élaboration de nouveaux dispositifs institutionnels et l’apparition de nouveaux modes de gouvernance qui parfois anticipent les changements dans l’Hexagone.

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À l’heure où le vieux débat sur l’avenir du département est relancé et où la fusion entre collectivités territoriales est parfois envisagée, avec en toile de fond le redécoupage de la carte des régions hexagonales, l’installation d’une collectivité unique dans ces deux Drom d’Amérique que sont la Guyane et la Martinique pourrait s’apparenter à une sorte d’expérience pilote. La CTG et la CTM sont, à ce titre, condamnées à faire preuve de créativité et à élaborer les schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services induits par la réforme. Le chantier de transfert des personnels est, de ce point de vue, un exemple emblématique.

Un chantier essentiel : le transfert des personnels

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Cette question est particulièrement sensible, parce que susceptible de générer des inquiétudes, voire des souffrances humaines. Sans entrer dans les détails, indiquons que les personnels des conseils généraux et régionaux sont transférés aux deux nouvelles collectivités créées en Guyane et en Martinique, quels que soient leur statut (titulaire ou non titulaire) et leur position (en activité, détachement, mise à disposition, congé parental, etc.). Ce transfert emporte deux conséquences majeures. Il suppose, en premier lieu, la création d’un sentiment d’appartenance à une même collectivité, au-delà de l’harmonisation des procédures (logiciel des ressources humaines, régime indemnitaire, procédure de formation, etc.). Le pari est loin d’être gagné : les cultures administratives du département, une vieille institution ayant une tradition de gestion bien enracinée, et de la région, un échelon de mission stratégique récent mais ancré dans le paysage, sont très différentes. En parallèle, ce transfert impose une reconfiguration des organigrammes des directions, en tenant compte de la répartition par catégorie des agents et des redéploiements de personnel en fonction des compétences à venir et de la nouvelle organisation des services, sans négliger les sources potentielles de tensions et d’éventuelles souffrances humaines. C’est là une opération complexe, conditionnée, au moins en partie, par la finalité assignée aux nouvelles entités en gestation et par la capacité à repenser les outils à leur disposition.

Des réformes institutionnelles pour quoi faire ?

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Les réformes applicables aux collectivités territoriales situées outre-mer circonscrivent également des espaces d’innovation pour la mise en œuvre des politiques publiques. En effet, une réforme institutionnelle n’a pas pour simple finalité un nouvel agencement des structures. Si elle doit satisfaire le besoin de simplification et de rationalisation desdites structures, elle s’inscrit dans une démarche plus globale visant à répondre à divers défis, en particulier celui du développement qui revêt une importance décisive dans les territoires ultramarins.

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Aussi l’installation des nouvelles collectivités de Guyane et de Martinique appelle-t-elle une réflexion sur les outils du développement, du double point de vue de la planification, dont la refondation s’impose en raison de la multiplication des outils et des schémas, et des compétences, dont l’exercice doit s’accompagner d’une reconfiguration et d’une mise en cohérence. La réforme devrait ainsi permettre de mieux coordonner les interventions et de mutualiser les moyens dans les domaines du développement économique et en matière de transport collectif, pour s’en tenir à ces deux exemples.

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La période qui court jusqu’en décembre 2015 peut être utilement mise à profit pour conduire le changement et mieux maîtriser le processus d’ingénierie institutionnelle en intégrant dans une approche cohérente l’ensemble des compétences actuellement exercées par les Drom de Guyane et de Martinique. Sans conteste, la façon dont les acteurs politiques s’emparent des nouvelles boîtes à outils mises à leur disposition ainsi que les solutions pragmatiques imaginées dans le cadre de l’apprentissage institutionnel lié à la création de la collectivité unique seront de nature à fournir d’utiles repères. Au-delà de l’expérience singulière de ces deux territoires, la réforme permettra d’éclairer celle se déroulant dans les collectivités territoriales de l’Hexagone qui auront choisi une voie similaire.

Des interactions entre l’outre-mer et l’Hexagone

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Si elles ne sont pas toujours perceptibles à première vue, des interactions existent entre les expériences des collectivités de l’Hexagone et celles de leurs homologues situées outre-mer. Sans doute serait-il vain de nier la spécificité de ces dernières : leur régime institutionnel est le fruit d’une longue histoire au cours de laquelle ont été progressivement conçus, désormais en association étroite avec les populations locales, des statuts de plus en plus diversifiés. D’autant qu’à l’instar de ce qui a pu être observé dans l’Hexagone à propos de la décentralisation, mais avec un incontestable effet amplificateur, les réformes institutionnelles et statutaires outremer s’apparentent de moins en moins à des actes unilatéraux imposés par l’État pour apparaître de plus en plus comme le fruit de compromis entre ce dernier et les acteurs locaux. Il s’agit le plus souvent de désamorcer une contestation rampante des statuts. En outre, les évolutions en France métropolitaine s’inscrivent dans une temporalité plus lente que les réformes qui visent à répondre aux demandes exprimées par les populations d’outre-mer. Il n’en demeure pas moins que les développements les plus récents confirmés par divers indices mettent en évidence les interactions entre ces deux catégories d’expérience institutionnelle. Il en est ainsi de l’option prise par l’actuel gouvernement en faveur de l’affirmation d’un pouvoir réglementaire des régions en des termes que ne renieraient pas ceux des élus d’outre-mer qui plaident depuis toujours pour la reconnaissance de la diversité des territoires et le recours aux possibilités d’adaptation de la loi en fonction des spécificités, dans des champs déterminés par le législateur. Ce discours rappelle singulièrement les dispositions de l’article 73 de la Constitution conférant aux territoires auxquels il s’applique un pouvoir de dérogation normative leur permettant notamment d’adapter la loi. On notera également qu’il entre en résonance avec les recommandations de l’Association des régions de France (ARF), elle aussi favorable à l’attribution aux régions d’une mission de fixation, par un « pouvoir réglementaire délégué par la loi [des] règles essentielles en matière de préservation foncière, de valorisation environnementale, de déplacements et d’urbanisme ». L’ARF propose par ailleurs de sortir de « l’égalitarisme républicain en matière de décentralisation » et accepte le principe d’une différenciation dans l’exercice des compétences sur le fondement d’expérimentations – qui peuvent être uniques – réalisées par telle ou telle région qui pourrait être la seule à en bénéficier [6][6] Les Régions au cœur du nouvel acte de décentralisation,.... Il est clair qu’une telle proposition fait écho aux revendications régulièrement formulées par les élus d’outre-mer et qui ont été partiellement entendues à travers les réformes s’appliquant, au-delà du cas de la Guyane et de la Martinique, aux collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution.

Notes

[1]

En réalité, le régime législatif des Com correspond dans certains cas à un dosage variable entre le principe de la spécialité législative et celui de l’identité législative. À titre d’exemple, le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon se caractérise par la prépondérance de l’application de plein droit des lois et règlements.

[2]

Cette interprétation erronée a pendant longtemps bloqué toute réforme institutionnelle dans les Drom, le régime de l’identité législative, auquel les populations sont particulièrement attachées, étant associé dans l’imaginaire collectif au cadre départemental.

[3]

L’article 1er du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République présenté le 18 juin 2014 au Conseil des ministres « affirme clairement le pouvoir réglementaire reconnu à la région dans le cadre de ses compétences », selon l’exposé des motifs.

[4]

Étude d’impact du projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et du Projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique, http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-vote/loi-du-27-juillet-2011-relative-aux-collectivites-territoriales-guyane-martinique.html

[5]

Signée par au moins un tiers des membres de l’assemblée délibérante, la motion de défiance mentionne les motifs pour lesquels elle est présentée et la liste des candidats (président et conseillers) appelés à remplacer les membres du conseil exécutif évincés par le vote de ladite motion.

[6]

Les Régions au cœur du nouvel acte de décentralisation, Association des régions de France (ARF), dossier de presse, 4 juillet 2012.

Résumé

Français

La création en Guyane et Martinique d’une collectivité territoriale se substituant au département et à la région, sur le fondement de l’article 73 de la Constitution, correspond à une opération complexe, s’inscrivant dans la durée et dans un contexte plus général de réformes à l’échelle de la France. Son succès dépend de la capacité des acteurs locaux à relever plusieurs défis de nature politique et technique, dont deux au moins paraissent essentiels : celui visant à briser le mythe de la simple fusion entre département et région ; celui consistant à créer et gérer un espace d’innovations et d’ingénierie institutionnelle.

Plan de l'article

  1. L’autonomie en débat : le déphasage entre le choix des élus et les attentes des populations
  2. Briser le mythe d’une simple fusion des compétences
  3. Sortir des logiques institutionnelles
  4. Favoriser l’adhésion des populations
  5. Un nécessaire apprentissage institutionnel
  6. Des espaces d’innovation et d’ingénierie institutionnelle
  7. Un chantier essentiel : le transfert des personnels
  8. Des réformes institutionnelles pour quoi faire ?
  9. Des interactions entre l’outre-mer et l’Hexagone

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