Régionalisme, régionalisation et coopération internationale dans l'espace Caraïbe
Résumé
Les travaux présentés en vue de l’Habilitation à Diriger des Recherches, explorent les ressorts du droit régional caribéen, au prisme notamment, du principe de la coopération internationale. Ils amènent ainsi à envisager les fonctions et objectifs de la règle de droit comme fondement d’un ordre juridique original.
La coopération internationale constitue l’un des principes cardinaux du droit international public traduisant à la fois une aspiration et une nécessité, fondé sur l’émergence d’un universalisme juridique. Les carences maintes fois soulignées du droit de la coopération universelle ont cependant largement favorisé le développement d’une régionalisation de cette coopération et partant, l’expansion du régionalisme international. Les multiples études sur le régionalisme montrent que ce phénomène est le creuset de multiples dynamiques, tantôt présenté comme la transposition à une échelle réduite, de la coopération développée au niveau mondial, tantôt comme s’inscrivant dans le cadre d’un processus d’institutionnalisation dont la forme la plus aboutie est l’organisation régionale. En tout état de cause, ce régionalisme traduit le caractère allotropique de la coopération internationale.
Nonobstant le fait que le phénomène régional ait été historiquement circonscrit au continent européen, le régionalisme a été expérimenté sur tous les continents. Le continent américain a ainsi développé une expérience du régionalisme qui a mobilisé la majeure partie de nos études. Dans cette perspective, l’étude du régionalisme dans cet espace présuppose de déterminer les contours de la zone en question. L’approche de la zone Amérique initialement envisagée dès le travail de thèse sous l’angle binaire de l’unité et de la diversité, avec une préférence nette pour l’approche unitaire, a évolué privilégiant de la sorte la caractérisation de « sous espaces ». C’est en ce sens que nos diverses contributions ont pu mettre en évidence la particularité de l’espace Caraïbe, entendu à la fois dans sa dimension insulaire et continentale. Elles ont ainsi révélé que, nonobstant les difficultés de définition de l’espace considéré, envisager la Caraïbe au prisme de la règle de droit, apporte des éléments de structuration de l’espace, car, les multiples dimensions géographique, historique, culturelle ou autres, peuvent être complétées et expliquées par la règle juridique. Cette approche renvoie ainsi à la dimension spatiale du droit, et donc à la qualification de situations ou à la théorie de la territorialité du droit. Envisagée essentiellement sous l’angle de l’État, la territorialité du droit constitue, une analyse renouvelée des frontières, des espaces et s’appréhende également à l’aune des règles du droit international. Outre la dimension spatiale du droit, envisager l’espace caraïbe au prisme de la règle de droit amène également à identifier la nature de l’espace juridique considéré. L’espace juridique est généralement caractérisé comme un lieu de production normative au sein duquel la règle reconnait des droits et impose des obligations. Il est proche de la notion d’ordre ou de système juridique. Au plan régional, et sans revenir sur le caractère aléatoire de la notion de région, l’espace juridique renvoie à la nature des règles sécrétées par un ordre juridique régional. Dans l’espace caraïbe spécifiquement, le régionalisme comporte de multiples dimensions qui nourrissent les réflexions sur le fait régional, et présente des modalités renouvelées.
Les recherches en vue de l’habilitation à diriger les recherches visent à mettre en exergue les singularités du régionalisme caribéen à travers deux thématiques phares :
•D’abord, la construction d’un régionalisme dynamique, mais complexe, caractérisé par son polymorphisme, fondé entre autres sur l’existence d’un droit régional porteur de valeurs communes.
•Ensuite, l’émergence progressive d’un régionalisme spécifique, tenant compte des territoires non indépendants de l’espace, et singulièrement, des collectivités infra-étatiques françaises et européennes qui se voient reconnaitre des capacités d’action internationale accrues.
Précisément, le régionalisme caribéen présente des traits caractéristiques dont la typicité n’a certainement pas été suffisamment mise en exergue. De l’ensemble des études sur le régionalisme caribéen, il ressort une approche segmentée, voire sectorielle, laissant la place à une approche permettant d’en saisir les soubassements et la dynamique. Ici encore, la règle de droit permet d’atteindre cet objectif. En effet, en prenant en compte les attentes normatives, sociales, ou autres des partenaires, elle témoigne du caractère rhizomique, allotropique de ce régionalisme désormais frappé par une complexité multiple (complexité des modes de production normative, des modes d’articulation des normes…) et une flexibilité nécessaire. En d’autres termes, le régionalisme caribéen est caractérisé par son extrême richesse et complexité, s’exprimant tant au plan organisationnel, institutionnel, normatif ou autre, expression du caractère multidimensionnel de la zone caraïbe, et que la règle de droit tente de juguler.
D’emblée, le régionalisme caribéen est historiquement marqué par l’expérience coloniale et singulièrement par l’influence des territoires britanniques, sans doute due à l’antériorité des regroupements régionaux entre pays issus de la colonisation britannique. Ces expériences historiques révèlent par ailleurs le caractère réticulaire de ce régionalisme, marqué par sa volonté d’institutionnalisation. Ainsi, plusieurs voies seront explorées avec plus ou moins du succès : d’abord politique puis économique avec des mécanismes d’intégration et/ou de coopération régionale.
En tout état de cause, la volonté de « faire ensemble » articulée à la recherche d’une identité caribéenne (West indianism), a forgé dans l’espace caraïbe un régionalisme de conviction, visant à assurer la viabilité des souverainetés des jeunes nations caribéennes.
En ce sens, ce régionalisme s’enracine dans une idéologie, fondée autour de valeurs spécifiques, communes aux pays de la zone. Ainsi, il s’implante, en dépit de l’hétérogénéité des situations, sur une matrice conceptuelle claire, résultant de la conviction que l’intégration et la coopération régionales ne doivent pas se limiter à la coordination des stratégies et politiques économiques, pour assurer les meilleures conditions de vie aux peuples. La paix, le respect des droits de l’homme, de l’environnement, autrement dit les valeurs reconnues au plan universel, sont les terreaux fertiles d’une telle dynamique et sont présentées comme des finalités et des fondements intrinsèques des intégrations. Cependant, si la question des valeurs n’est pas simple à aborder tant elle est connotée et polysémique, dans l’espace caraïbe, la contribution des organisations régionales à la mobilisation de ces valeurs collectives, présente des particularismes qu’il convient de souligner.
Le régionalisme caribéen est également influencé et imprégné par des facteurs divers et variés : l’on peut à cet égard citer sur le plan international, l’émergence d’un nouvel ordre économique international justifiant des revendications d’adaptations juridiques, économiques ou autres. On peut également faire référence au développement de la globalisation économique et de la mondialisation notamment sous l’impulsion des institutions internationales et impliquant une refonte voire la création de nouveaux mécanismes de regroupements régionaux. Mais le régionalisme caribéen est également forgé par des facteurs internes à la zone Caraïbe-Amériques lorsqu’il s’agit de considérer le développement d’initiatives en provenance de l’Amérique du Nord ou de l’Amérique du Sud. C’est d’ailleurs dans ce contexte de forte polarisation que le régionalisme caribéen réaffirme de manière parfois contradictoire, sa dimension identitaire. En ce sens, il peut être fait référence à la constitution de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) qui traduit l’institutionnalisation de la Grande Caraïbe, et se veut le lieu de confluence visant à favoriser le développement de liens entre les zones anglophones, hispanophones et francophones de la Caraïbe.
Au regard des territoires francophones, si pendant longtemps, ils sont tenus à l’écart de leurs voisins les plus immédiats, la reconnaissance en leur faveur d’un droit de la coopération régionale et de l’action extérieure, constitue également un élément original. En effet, et de manière générale, de nombreuses évolutions dans le sens de l’autonomie ont pu être observées qu’il s’agisse des territoires néerlandais ou des territoires français. Analysées au prisme du régionalisme, elles entrainent immanquablement des novations. Elles ainsi renvoient à la problématique de la participation des territoires non indépendants aux organisations régionales, à leur apport au droit régional et de manière plus générale, de la place des entités infra étatiques en droit international. C’est là un aspect original, une nouvelle forme d’expression et de conceptualisation du régionalisme qui, dans l’espace caraïbe trouve une expression particulière, eu égard au fait qu’il s’agit d’une des régions du monde où il existe une variété de territoires non indépendants – catégorie au demeurant hétérogène - ce qui n’est pas sans incidence sur le régionalisme à l’œuvre. À cet égard, l’étude des collectivités territoriales françaises de l’espace caraïbe présente un intérêt particulier. Très tôt et à l’aune des grands mouvements de décolonisation au plan mondial, annonçant la création d’un droit du développement, la coopération de ces collectivités avec leurs voisins immédiats donne lieu à l’émergence d’un droit de la coopération régionale marquée par son caractère original. En effet, si l’intégration des territoires français de l’espace caraïbe à la République justifie d’appréhender leurs relations avec l’extérieur de manière particulière, la coopération de ces collectivités territoriales avec leurs voisins caribéens, constitue une longue conquête, faite d’avancées et de stagnations, mais néanmoins fondée sur l’importance d’assurer leur développement qui se veut viable et pérenne. Ainsi, dès le début des années 80, les réformes liées à la décentralisation, introduisent des possibilités d’action à l’international d’abord timides en faveur des collectivités locales puis spécifiques aux collectivités ultramarines qui se voient reconnaitre à partir de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, de véritables compétences de coopération régionale avec les États et territoires de leur zone géographique. Dans le même temps, les liens entretenus par ces collectivités avec la Communauté puis l’Union européenne sont porteurs d’une dynamique complémentaire dans le sens d’un renforcement du soutien à la coopération régionale. En effet, très tôt et notamment à la faveur de l’adoption des conventions de Lomé par la CEE et plus largement de la construction européenne, la nécessité de l’insertion de ces collectivités dans leur environnement géographique se fait sentir, conduisant à faire de l’Union européenne un acteur majeur dans la reconnaissance et la construction d’un modèle original de différenciation juridique fondé sur le développement de l’action extérieure de ces collectivités.
La reconnaissance de cette « condition internationale » des collectivités infra-étatiques et infra- européennes de la Caraïbe, oscillant entre déconcentration et décentralisation, révèle le caractère spécifique et original du régionalisme caribéen tenu de composer avec des territoires à la diversité statutaire, institutionnelle et politique.